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Les deux chansons qui ont officiellement accompagné les soldats de 1914 ont été la Marseillaise et le Chant du départ, toutes deux chansons issues de la Révolution française (respectivement 1792 et 1794). Ce sont des chansons guerrières de mobilisation, qu’on peut utiliser comme chansons de marche en accentuant leur côté cadencé. Marcher, combattre, mobiliser contre les ennemis de la France : lorsqu’on s’indigne aujourd’hui devant les excès voire la sauvagerie de certaines paroles, il faut se souvenir qu’il s’agit d’appels à sauver la si récente et si fragile République en train de s’établir, dans un contexte de péril où le risque est grand pour le soldat comme pour les valeurs et le collectif qu’il défend. Les paroles expriment l’engagement total,  jusqu’au sacrifice de sa vie, du patriote pour la Nation identifiée non pas à la terre des ancêtres mais au collectif créé par l’adhésion aux valeurs de la République ( « la liberté guide nos pas… », chant du départ). C’est le début d’un phénomène nouveau, une guerre qui repose sur une vaste conscription populaire.

Reste que « l’engagement » ne resta pas une réalité et la vigueur martiale de nos hymnes ne doit pas cacher des résistances à la conscription. Si la ferveur populaire n’a pas manqué au tout départ des années révolutionnaires, il n’en fut bientôt plus de même dès lors que les appelés de 1992 estimèrent avoir rempli leur devoir en repoussant les envahisseurs étrangers hors des frontières, et rentrèrent chez eux. La levée en masse, qui prétendait désigner par tirage au sort lesquels des jeunes gens partiraient à l’armée, suscite révoltes et émeutes dans les populations concernées, et se prolonge en Vendée par une insurrection violemment réprimée par la Convention.

L’opposition populaire à la conscription ne cessera pas lors des conscriptions pour les guerres de Napoléon, supposées apporter partout en Europe les acquis modernisateurs de la Révolution française. Or, et bien évidemment, ces guerres d’invasion des pays voisins de la France étaient bel et bien perçus par les envahis comme des guerres offensives de domination impériale. D’où, rapidement, des mobilisations de la population, comme en Espagne où s’invente la « guerilla », la « petite guerre » des paysans, qui s’arment, se cachent dans les maquis et au sein de leurs villages, protégés par la solidarité complice de leurs voisins et familles.

Deux
questions :

- où était alors l’engagement pour la liberté ? du côté des troupes napoléoniennes qui envahissaient les pays voisins, pour les « libérer » des anciens régimes et établir l’Empire français modernisateur, ou du côté des résistances à l’invasion ? La chanson El Paso del Ebro, qui sera reprise par les troupes républicaines lors de la guerre d’Espagne en 1936, est celle de la guerilla de 1807 qui résiste à Napoléon.

- Y-a-t-il engagement par obligation personnelle, ou contrainte extérieure qui restreint la liberté ? Quand on dit « engagement », on exprime l’idée qu’il y a un mouvement interne de la volonté, du désir, de la part du sujet qui s’engage, sans réticences, avec tout son corps et toute son énergie. Partir à la guerre ne résulte sans doute jamais d’un élan joyeux et enthousiaste chez une personne sensée et douée d’un peu de sagesse et d’expérience des réalités, mais est-ce accompli volontairement ou non ? engagement ou contrainte ? S’agit-il d’une forte implication personnelle, d’un désir, ou même d’un sentiment d’obligation consentie en conscience et librement, par devoir compris, assumé et accepté ? ou tout au contraire, d’une acceptation sous contrainte et sans libre choix de la loi militaire subie par force et peur des représailles ? C’est tout le problème que pose le discours du Maire de Champigny en ce 11 Novembre 2017, qui rappelle les mutineries de l’année 1917 et fait comprendre que les soldats révoltés n’étaient pas de mauvais citoyens : c’étaient des jeunes hommes qui avaient d’abord accepté leur incorporation,  mais qui étaient, après trois ans de guerre, de sang et de boue, désespérés et révoltés par le sacrifice inutile de leur vie. Après des offensives meurtrières décidées par des commandements militaires incompétents, l’extrême lassitude, la perte de confiance dans les élites militaires et politiques, le désespoir se muent en révolte. Les mutineries sont une dimension de cette révolte. La révolution de 1917 en Russie, elle aussi provoquée par les réactions à la guerre sur le front de l’Est, amènera bientôt de tout autres motifs d’engagement.

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